La convention judiciaire d’intérêt public signée par AIRBUS. ✈️

La question qui m’a été posée était de savoir pourquoi je voulais traiter les CJIP ?

Ma réponse a été qu’à défaut de pouvoir changer le monde comme Superman, je pouvais au moins rendre le droit plus simple à comprendre, et notamment le droit pénal des affaires.

AIRBUS SE est un groupe français qui, le 29 janvier 2020, a signé avec la France, une convention judiciaire d’intérêt public. Cette convention a notamment porté sur des faits de corruption, commis par AIRBUS, d’agents publics étrangers.

Le groupe Airbus SE est spécialisé dans la Défense, l’aviation, les hélicoptères, l’espace et la sécurité et a, pendant plusieurs années, au terme des enquêtes du Parquet National Financier et du Serious Fraud Office, payé des agents publics pour obtenir des contrats de vente quant à ses avions et à ses satellites.

La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP)1 signé par Airbus fait 22 pages, autant dire que cela fait quand même beaucoup surtout quand on essaye de comprendre toute l’histoire. Pour cela que je vais vous résumer cette convention en schéma, mais avant cela, il convient de préciser qu’Airbus SE est doté de plusieurs branches :

  • Airbus SAS qui est une entité juridique regroupant les activités « siège » et « l’aviation commerciale ».
  • Airbus Defense and Space qui commercialise des avions militaires, des satellites, des systèmes de communication, de renseignement et de sécurité, ainsi que des composants pour l’industrie aérospatiale.
  • Airbus Helicopters qui commercialise des hélicoptères civils et militaires.

Néanmoins, il faut également ajouter que comme beaucoup de société, Airbus a eu recours à des intermédiaires commerciaux pour leur contrat de vente. C’est ainsi, qu’à compter de 2008, Airbus s’est doté d’une nouvelle organisation, qui était rattachée à Airbus SAS : le SMO – Strategy and Marketing Organization.

Organisation du SMO.

Après des enquêtes internes effectué par Airbus, les autorités de poursuites françaises et anglaises, puis américaine, ont demandé la coopération du groupe Airbus SE quant à leur propre enquête, portant notamment sur les qualifications de corruption d’agent public étranger (Article 435-3 du Code pénal), faux et usage de faux (Articles 441-1 et suivants), escroquerie en bande organisée (Article 313-1 C.Pénal), abus de confiance et blanchiment de cette infraction (Article 314-1 ; Article 324-1 C.Pénal), et abus de bien sociaux (Article L.244-1 C.Commerce, renvoi L.242-6 3° et 4° C.Commerce), entre 2004 et 2016.

Une fois cela dit, on n’est toujours pas plus avancé…

La question que je me suis posée, c’était où tout cela a bien pu se passer ?

Nous avons donc comme pays :

  • Les Émirats arabes unis (EAU);
  • La Chine ;
  • La Corée du Sud;
  • Le Népal ;
  • Taïwan ;
  • l’Amérique du Sud et notamment la Colombie ;
  • La Russie ;
  • Le Moyen-Orient.

Commençons avec les Émirats arabes unis :

La compagnie Air Arabia, qui a son siège sociale à Charjah, Émirats arabes unis, a conclu avec Airbus SAS, un contrat de vente portant sur 34 avions A320 et 15 supplémentaire en option, le 12 novembre 2007. Une deuxième commande a été passée de 10 avions en option – restant à commander -, le 24 juin 2008. Un dirigeant d’Airbus Middle East s’est engagé à verser une rémunération occulte à l’un des dirigeants d’Air Arabia. Pour autant, cela n’a jamais abouti malgré les propositions :

Propositions émises pour verser la rémunération occulte.

Pour être honnête quand j’ai lu les propositions, je me suis dis qu’ils auraient largement pu être plus créatifs. Il aurait été facilement possible de faire de l’interposition de patrimoine pour faire passer des fonds jusqu’à une structure offshore, tel qu’un trust sur lequel on aurait placé lesdits biens immobiliers, qui auraient pu être mis à disposition du fils du dirigeant par exemple. Après, aucun plan n’est infaillible, mais je trouve qu’ils auraient pu faire plus élaborés. 🤔

La Chine :

Airbus a conclu des GTA avec les autorités chinoises pour la vente de 140 avions au total, en acceptant d’investir dans le China Aviation Cooperation funds (CACF).

Quant au financement de la China Aviation Cooperation funds :

Officiellement, ca rendait bien sur le papier je trouve. Pas vous ? 🤔

Officieusement, l’idée était bonne surtout si cela permettait d’obtenir la vente des 140 avions, mais utiliser une partie de l’argent qui servait au financement de CACF pour offrir des avantages aux agents publics chinois et aux dirigeants, c’est visible. D’autant, qu’il n’est pas mentionné dans la CJIP, les mécanismes utilisés pour dissimuler l’utilisation des 2 millions $, il est possible de penser à la fausse facturation pour les séminaires.

Quant aux General Terms Agreement :

Corruption pour l’obtention de GTA

Alors… Attention ça va faire mal à la tête : de base, ce n’était pas 10.3 millions qui devaient être transférés mais 30 millions $ directement à l’intermédiaire A. Les choses ne se passant pas tellement comme ils l’auraient voulu, ils ont dû recourir à l’intermédiaire B, qui est le bénéficiaire effectif de la société tierce et de la société libanaise pour faire transiter les fonds. Ils avaient déjà par le passé eu recours à l’intermédiaire B, sur d’autres campagnes de vente, il était donc facile pour Airbus d’y recourir de nouveau.

Ensuite, 13 millions de dollars supplémentaires, en 2015, devait être versé à l’intermédiaire A, toujours pour les GTA, via des mécanismes de portage : structure offshore (société, compte bancaire, trust) et/ou tiers. Seulement avec le gel des paiements, il n’a pas été possible d’envoyer cette dernière somme.

La Corée du Sud :

Les contrats de vente d’avions entre Airbus et Korea Air
Le schéma de corruption.

Il y a donc eu ici des interpositions de patrimoine pour dissimuler au maximum les avantages attribués à l’ancien haut dirigeant de Korea Air. L’utilisation de contrat fictif est constitutif d’un faux et usage de faux, mais cette technique est couramment utilisée, car elle permet de légaliser une chose qui ne l’est pas. Le plus difficile aurait été ici quand au versement des 6 millions de dollars aux établissements universitaires coréens et américains, car ce qui lie ces établissements à l’ancien dirigeant, ce sont des intérêts moraux. Ce type d’intérêt est plus difficilement détectable qu’une somme d’argent.

Les infractions commises :

Une chose convient d’être précisée : l’utilisation des sous par Airbus.
Cette utilisation est constitutive d’un délit de droit des affaires, connu sous le nom d’abus de bien sociaux. Pour une fois, au moins on peut dire que l’on voit à peu prêt ce qui se cache derrière cette infraction, en effet en utilisant les sous de la société pour de la corruption, Airbus a utilisé les biens de l’entreprise. Les biens peuvent être aussi : des fonds ou des valeurs (de l’argent, des parts sociales), que des biens mobiliers. Or cette utilisation des biens est abusive, puisqu’elle fait courir un risque à la société, « risque anormal qui expose la société à des poursuites pénales ou fiscales » (Cass, Crim, 17 décembre 2015).

Nepal Airlines :

Népal Airlines est une compagnie aérienne nationale du Népal, détenue et contrôlée par l’État népalais. Airbus avait signé avec eux, deux protocoles d’accord en vue de la vente d’un avion A330 et un avion A320. La vente a été signée en juin 2013. Airbus avait eu recours à deux intermédiaires népalais, mais au final, un seul a été engagé et une somme d’argent lui avait été promise. Airbus a finalement engagé une société tierce chargée « d’une mission de conseil sur le sous-continent indien », à qui elle aurait versée la somme de 360 000 euros.

Schéma de corruption et de transit des fonds.

Néanmoins, les rapports dénotent un engagement de paiement totale de 1.8 million de dollars. La Convention ne donne pas plus de détails quant aux sommes qui ont transité, ni même sur le fait que les contrats puissent être fictif.

Pour autant, comme pour le schéma de Korea Air, on peut voir des interpositions de patrimoines et le recours à des contrats. Airbus a réellement cherché à dissimuler aux maximums ces opérations-là, aussi bien, au travers de l’interposition de patrimoines et de tiers, qu’avec les contrats.

Taïwan :

Airbus a signé un contrat de vente, avec China Airlines (Taïwan), qui est la compagnie aérienne publique taïwanaise, pour 14 avions A350 et 6 supplémentaires en option.

Pour faire transiter les fonds, ici le schéma est beaucoup plus complexe. Ils ont choisi deux intermédiaires. L’intermédiaire A a reçu plusieurs paiements sous diverses formes : via un investissement minier, via un compte banquier libanais appartenant à l’une des filiales du groupe, via un intermédiaire et via deux contrats de consultants. De plus, pour le premier consultant, la rémunération officielle était de 8 millions $, mais la rémunération réellement obtenue était de 45 millions $.

Pour le second consultant, les choses ne sont pas réellement passées comme prévu, puisqu’en raison du gel des avoirs d’Airbus fin 2014, il a été plus compliqué pour le groupe de faire transiter l’argent. Ils ont réussi via un mécanisme de portage, en utilisant un tiers et une structure offshore, a transférer l’argent à l’intermédiaire B. Pour autant, il manquait encore la somme de 5.5 millions $. Ce versement n’a jamais été obtenu.

La Russie :

Russian Satellites Communications Company (RSCC) 🛰 est un opérateur national russe de communication par satellite, détenue par l’Etat fédéral de Russie. Deux contrats ont été conclus pour l’achat de satellite : Astrium AM7 et AM4R. Airbus Defense and Space, avec le concours du SMO/IO, a engagé un intermédiaire.

Schéma de corruption pour la vente avec RSCC

Toute cette affaire s’est déroulée en 2012 et durant cette période, le SMO/IO a mandaté une entreprise extérieure pour évaluer la société derrière laquelle se dissimulait l’intermédiaire. Il en est ressorti « que le siège de cette société n’était pas identifiable, qu’aucun compte financier était disponible et que sa capacité à fournir les prestations demandées étaient discutable » (CJIP Airbus).

Communément, on appelle cela une société écran, qui se définit comme une société qui n’a aucun autre but que de dissimuler des choses (Cela est bien sûr résumé grossièrement). Or, même si cette société n’apparaît pas sur mon schéma, il a été reconnu que l’intermédiaire se cachait derrière cette société, il a donc pu aisément faire transiter ces fonds vers les collaborateurs de la société russe.

Ce que je trouve assez drôle, c’est que malgré ces red flags, le contrat de consultant a bel et bien été signé. Il y avait donc réellement une vraie volonté d’obtenir ce contrat et ce, peu important, les risques qu’ils pouvaient faire courir à la société.

Le Moyen-Orient :

Arabsat est une organisation intergouvernementale, dont 21 membres de la ligue Arabe sont les actionnaires, qui fournit des services de télécommunications civiles internationales. En février 2009, Airbus et Arabsat ont conclu un contrat pour l’achat d’un satellite 🛰.

Schéma de corruption arabsat

Il s’avère ici que c’est l’un des schémas de corruption, le moins complexe jusqu’ici abordé. En effet, le schéma est similaire à celui de l’affaire avec la compagnie russe. Il est tout de même possible de se questionner sur l’utilisation ou non d’une société écran. Il n’est pas mentionné dans la Convention de l’utilisation d’une structure offshore, pour autant, il est possible de penser que si l’intermédiaire, qui est le même que pour la campagne RCSS, est derrière la société écran susmentionné, il pourrait l’avoir de nouveau utilisé ici.

Avianca (Colombie) :

La situation ici est assez cocasse, car il faut identifier qui traite avec qui. En effet, Avianca est une compagnie aérienne nationale colombienne, qui fait partie du conglomérat Synergie Group, qui lui se trouve sur le territoire d’Amérique du Sud. Les contrats ont été conclus sur la période de 2006 à 2016.

Schéma de corruption Airbus et Avianca Holdings

Fin décembre 2014, en plein gel de leur avoirs, Airbus a signé avec Avianca un protocole d’accord pour la vente de 133 avions A320 Neo, contrat finalisé le 30 avril 2015. Pour autant, les sommes susmentionnées sont celles qui étaient prévues d’être remises à l’intermédiaire et au cadre dirigeant d’Avianca, mais le gel des paiements et les mesures de conformité ont rendu ces paiements impossibles.

A contrario des autres schémas où pour beaucoup les intermédiaires ne servaient que de taxi en transmettant simplement une somme, ici l’intermédiaire a été réellement payé pour transmettre les sous. L’intermédiaire se sert donc sur la somme qu’il doit faire transiter, c’est-à-dire 20 millions $ dans un premier temps, puis 6 millions $ dans un second temps. C’est assez courant, notamment avec les sociétés écrans, puisqu’il s’agit d’un type de société écran : des sociétés facturières.

Ce paiement de l’intermédiaire ne correspond pas seulement à ces transfert d’argent vers le cadre dirigeant d’avianca, mais également un agrément entre Airbus et l’intermédiaire :

Rémunération du consultant.

Autant dire qu’avec tout cela, cela explique la coquette somme qu’il a pu avoir.

Publié le 22 mai 2022.

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